
À la croisée des chemins : Rééquilibrer le pouvoir économique entre l'UE et les États-Unis
L'étude part d'un constat simple : si l'on ne considère que les échanges commerciaux et les flux de capitaux, la relation semble toujours remarquablement équilibrée. Les stocks d'investissements américains en Europe et les stocks d'investissements européens aux États-Unis sont tous deux énormes ; les entreprises européennes produisent aux États-Unis et exportent dans le monde entier à partir de ce pays ; le commerce des services, une fois qu'il est correctement pris en compte, maintient le compte courant États-Unis-UE proche de zéro. Il s'agit d'un partenariat, et non d'une relation patron-client. Pourtant, dès que l'on sort du cadre de l'économie pure pour s'intéresser à la défense, aux normes technologiques, aux plateformes numériques et à l'intelligence artificielle, l'Europe s'appuie clairement sur les capacités américaines. Cette situation était acceptable dans l'ordre de l'après-guerre, lorsque le leadership américain au sein de l'OTAN, du système du dollar et des institutions multilatérales était considéré comme acquis. C'est plus problématique dans un monde où Washington redéfinit ses priorités et est de plus en plus disposé à utiliser le pouvoir économique comme outil géopolitique. Parlement Européen
Cette tension croissante est renforcée par des divergences macroéconomiques et structurelles. D'après les données actuelles, les États-Unis gèrent un mélange de marchés boursiers plus solides, de gains de productivité plus concentrés grâce à la technologie et d'une politique à la fois protectionniste, sélective et interventionniste. L'UE, en revanche, est confrontée à des perspectives de croissance plus faibles, à une productivité plus lente et à une structure économique qui répartit plus uniformément les gains, mais qui produit rarement le type d'entreprises superstars qui redéfinissent un secteur. Le rapport note que la productivité des États-Unis devrait encore progresser, en grande partie parce que les investissements liés à l'IA sont concentrés dans une poignée de très grandes entreprises américaines à forte capitalisation. Le modèle européen est plus équilibré sur le plan social, mais cet équilibre même fait qu'il est plus difficile d'égaler la vitesse des États-Unis à la frontière technologique. Lorsque ces différences structurelles s'ajoutent à l'appréciation de l'euro et à l'affirmation politique des États-Unis, le risque d'un désalignement futur augmente. Parlement Européen
Pour cette raison, les auteurs présentent l'avenir non pas comme une voie unique, mais comme trois trajectoires plausibles. La première est essentiellement "plus de la même chose" : l'interdépendance se poursuit, mais l'UE reste exposée aux décisions américaines en matière de sécurité, de contrôles technologiques, de sanctions et de subventions industrielles. Cette voie préserve les avantages économiques mais rend l'Europe vulnérable lorsque la politique intérieure des États-Unis se replie sur elle-même ou devient conflictuelle. La deuxième voie est celle de la "divergence gérée" : Bruxelles accepte que Washington agisse parfois de manière unilatérale, et l'UE investit donc dans la réduction de ses dépendances stratégiques - intrants de défense, piles numériques centrées sur les États-Unis, canaux financiers spécifiques - tout en essayant de maintenir ouvertes les principales artères économiques. C'est le scénario le plus réaliste, mais il nécessite du temps, de l'unité et des investissements. Le troisième, clairement le moins attrayant, est un "tournant antagoniste", dans lequel les différends commerciaux, les courses aux subventions, les contrôles des exportations et les désaccords géopolitiques se nourrissent les uns des autres jusqu'à ce que l'espace transatlantique se fragmente. Aucune de ces trois solutions ne résout totalement le dilemme de l'Europe, c'est pourquoi le rapport insiste sur le fait que l'UE "n'a pas d'autre choix que de renforcer sa préparation à l'établissement d'une relation plus équilibrée". Parlement Européen
La préparation, dans ce contexte, n'est pas un slogan ; elle est institutionnelle. Le document indique clairement que les outils de contrôle actuels du Parlement européen ne sont pas assez souples pour la diplomatie économique UE-États-Unis, qui évolue rapidement. Les différends commerciaux peuvent éclater avant même que le Parlement ne soit officiellement informé ; les divergences réglementaires sur la finance, les données ou l'industrie verte peuvent apparaître à Washington sans avertissement ; et les forums multilatéraux traditionnels qui offraient à l'Europe un contrepoids à la puissance américaine sont eux-mêmes plus faibles. La réponse, selon l'étude, consiste à mettre en place des mécanismes d'alerte précoce au sein du Parlement afin que les députés puissent repérer plus tôt les changements transatlantiques en matière de macroéconomie, de commerce et de réglementation, et à s'appuyer davantage sur les canaux directs avec les homologues américains lorsque les cadres multilatéraux ne donnent pas les résultats escomptés. Une UE plus fragmentée politiquement ne peut pas se permettre d'être lente sur le dossier qui compte le plus pour sa prospérité. CEPS
L'ensemble de l'analyse s'articule autour d'un point discret mais ferme concernant le temps. Passer d'une dépendance asymétrique à un partenariat plus équilibré ne peut se faire du jour au lendemain, surtout lorsque l'Europe bénéficie encore largement des garanties de sécurité américaines et de l'accès aux marchés financiers américains. Cela nécessitera une unité interne, des efforts délibérés pour réduire les dépendances les plus sensibles et une articulation plus claire des domaines dans lesquels l'UE est prête à s'aligner sur les stratégies géoéconomiques des États-Unis et de ceux dans lesquels elle ne l'est pas. L'alternative est de laisser la relation dériver, auquel cas la combinaison actuelle - économiquement imbriquée, stratégiquement dépendante - sera de plus en plus décidée à Washington, et non à Bruxelles. Parlement Européen
Sources : Étude CEPS / Parlement européen, "Risks and Opportunities in Evolving EU-US Financial and Economic Relations", auteur externe Cinzia Alcidi, demandée par la commission ECON, novembre 2025 ; page de publication du CEPS pour l'étude. CEPS+1